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Un ouvrage remarquable conservé à l’IFEB : la Bible de Moscou de 1663

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Les spécialistes le savent bien : la prestigieuse “Bible de Moscou” est un ouvrage aussi illustre que rare à trouver dans les bibliothèques occidentales. Un exemplaire en est cependant conservé à l’Institut français d’études byzantines (Bibliothèque Jean de Vernon, ICP, Paris).

Il est issu de la collection constituée par Pie Neveu (1877-1946), évêque latin de Moscou de 1926 à 1936(*). Ce dernier l’a légué à l’IFEB avec une série d’autres ouvrages majeurs pour le monde slave : Trebnik de Pierre Mohila (Kiev 1646), Kormčaja kniga (1653), Kamen Very de Stefan Javorskij (Pečerskaja Lavra 1730), éditions anciennes du Dobrotoljubie.

Mais en quoi réside l’importance de cette Bible ? Les lecteurs francophones ont à leur disposition une publication à la fois érudite et accessible, qui détaille ses caractéristiques : Jacqueline de Proyart, « La Bible slave », dans J.-R. Armogathe (dir.), Le Grand Siècle et la Bible (coll. Bible de tous les Temps, 6), Paris 1989, p. 383-422.

Nous en reprenons ici quelques passages :

« L’appellation “Bible slave” (slavjanskaja Biblija) est réservée au codex slavon russe rassemblé par l’archevêque de Novgorod Gennade (1410-1505) à la fin du 15e siècle. Révisé et imprimé pour la première fois en 1581, à Ostrog en Volynie, l’ouvrage connut deux rééditions, la première en 1663, sous le règne d’Alexis Mikhailovic (1645-1676), la seconde en 1751, au temps de l’impératrice Élisabeth II. »

On l’aura compris, c’est la première réédition de la Bible slavonne “révisée” (c’est à dire de la “Bible d’Ostrog”), qui est désignée du nom de “Bible de Moscou” de 1663. Patronnée par le tsar Alexis, Ier cette édition fut, dans la pratique, la seule autorisée à son époque.

Comme le souligne J. de Proyart (p. 413 sq), « Alexis Mikhailovic était un familier de la Bible depuis sa tendre enfance. Quant il succéda à son père, la Bible d’Ostrog était épuisée. On décida alors de procéder à une nouvelle édition, améliorée, de la Bible slave. Mais les compétences manquaient à Moscou pour mener à bien cette révision scientifique. » On fit alors appel à deux savants moines et professeurs au Collège de Kiev : Arsène Sukhanovskij et Épiphane Slavineckij. Ils furent installés au monastère du Miracle en 1649.

« Slavineckij entama rapidement avec d’autres moines les travaux préparatoires à la révision de la Bible d’Ostrog. Bon helléniste, il s’aperçut très vite que la traduction devait être reprise de manière radicale. Il fut cependant très vite accaparé par d’autres tâches, jugées plus urgentes par sa hiérarchie. » En effet, Nikon étant entre temps devenu patriarche (1652-1658), il avait fait de Slavineckij le responsable de la révision des Livres saints. Ainsi, seul le Psautier  intégré dans la Bible de 1663 put bénéficier d’une refonte complète. « Pour le reste, hormis la modernisation de la présentation du texte au lecteur et l’embellissement de sa décoration, l’édition moscovite ne fut qu’une réimpression de l’édition d’Ostrog. »

« De ce fait, si la Bible de Moscou de 1663 conserva une grande importance, ce fut moins pour son texte que pour l’autorité que le tsar Alexis lui avait conféré, ainsi que pour son illustration particulièrement soignée et originale. Car il fallait que “la première Bible imprimée à Moscou”, en la ville capitale du tsar de toutes les Russies, se distinguât de toutes les précédentes éditions par sa magnificence. »

En ouvrant le livre, le lecteur trouve, sur la page de gauche, un portrait réaliste du tsar Alexis , malheureusement absent de l’exemplaire de l’IFEB. « Par cette innovation, le tsar Alexis donnait l’exemple de la modernité et encourageait la peinture des personnes vivantes (parsuny) qui, mal vue de l’Église, n’en était qu’à ses touts débuts en Russie. En se faisant par ailleurs représenter en majesté, avec tous les insignes de sa fonction royale, il rappelait également à tous les pieux lecteurs orthodoxes qui ouvraient le livre de la Sainte Écriture qu’il avait reçu un don spécial, le jour de son couronnement, pour veiller aux destinées de l’Église aussi bien que celles de l’État. »

En face de ce portrait, sur la page de droite, figure un somptueux frontispice que J. de Proyart analyse dans ses moindres détails (p. 417sq.).

« Ce frontispice se présente comme une composition harmonieuse de neuf tableaux répartis en trois niveaux. Il serait l’œuvre du moine Joseph Vladimirov. Son originalité est constituée par le fait que l’histoire du salut, racontée en six scènes sur le pourtour de la gravure, encadre le panneau central du triptyque sur lequel est représenté en sa partie supérieure le blason de la maison impériale de Moscovie et, en sa partie inférieure, un plan panoramique de Moscou orienté  d’est en ouest. C’est le premier plan russe de la capitale à avoir été conservé.

Emblématiquement symbolisée par le blason entouré d’inscriptions calligraphiées, tirées de la Bible, la maison impériale de Moscovie en la personne de son grand souverain, repose solidement sur la capitale de l’État russe. Embrassant l’ensemble du cosmos du double regard de l’aigle bicéphale, elle exerce ses fonctions universelles sous le regard et le geste bénisseur de Dieu. La symbolique de l’aigle bicéphale à la triple couronne est par ailleurs explicitement donnée dans l’avant-propos. »

Pour ceux qui se demandent ce que signifient ces trois couronnes, la préface de l’édition de 1663 indique que « Moscou les mérite parce qu’elle sert la Sainte Trinité, parce qu’elle règne sur l’Europe et l’Asie et les trois parties de la Libye, parce qu’elle engendre les trois grâces et conserve les trois pommes d’or du jardin des Hespérides, toutes trois de bonne manière. »

Dans l’incrustation la plus centrale, J. de Proyart note la présence de la figure de saint Georges, patron de la Moscovie (p. 410 sq.). « Si on regarde bien cette représentation, on constate qu’elle n’a rien de traditionnel. Le cavalier est un barbu bien en chair, au costume court. Il n’a pas d’auréole, mais porte une couronne. » Il s’agit en fait d’une effigie du tsar Alexis. Nous ajouterons que les initiales “AM” qui apparaissent dans l’agrandissement numérique de l’image confirment cette hypothèse.

Enfin, l’auteur de ce très intéressant article conclut par quelques données concernant la diffusion de l’ouvrage (p. 421) :

« Tardive en raison des circonstances politiques longtemps défavorables à sa publication, scientifiquement dépassée à peine parue, idéologiquement contestée pour sa tendance à sacraliser la personne du tsar par l’image, la Bible de Moscou connut, malgré ses défauts, un franc succès en librairie. Sortie des presses en décembre 1663, elle fut mise en vente le 1er mars 1664, au prix de 5 roubles d’argent. Cent exemplaires furent vendus dans les quatre premiers jours et mille-quatre-cent-cinquante-six jusqu’au 14 juillet 1664. Elle fut d’ailleurs achetée par tous les groupes de la population : haute noblesse, moyenne noblesse, militaires, clergé, marchands, fonctionnaires, classes inférieures, étrangers et même prisonniers. »

(*) Sur la vie très mouvementée de Pie Neveu, voir A. Wenger, Rome et Moscou : 1900-1950, Paris 1987 [IFEB : II 20 426]. On consultera également en ligne le compte-rendu d’A. Failler, REB 46, 1988.

• Illustrations : La Bible de Moscou conservée à l’IFEB [cote R III 990].


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